Alors que l’Union européenne travaille activement sur un projet de directive concernant le devoir de diligence et la responsabilité des entreprises en matière de droits de l’Homme, le Luxembourg vient de la devancer, en adoptant un plan national ayant pour objet l’élimination des fournisseurs qui ne respectent pas les droits humains de leur chaîne d’approvisionnent.
Il est vrai que le respect des droits de l’Homme occupe une place grandissante dans les activités des entreprises. Pour l’heure, leur protection incombe encore à l’Etat, mais les entreprises ne peuvent plus s’en désintéresser et doivent les prendre en considération dans leur gestion.
En effet, en cas de violation des droits de l’homme, les conséquences peuvent être dramatiques : perte d’actionnaires et des salariés les plus performants, investisseurs mécontents, atteinte à l’image et à la réputation de l’entreprise avec un risque de boycott des consommateurs, sans compter évidemment les risques de litiges coûteux…
La crainte est désormais de se retrouver devant le tribunal de l’opinion publique, au cœur de scandales, qui sont extrêmement onéreux. Cela a d’ailleurs causé du tort à de nombreuses sociétés comme BNP Paribas, Walmart, Volkswagen, et bien d’autres.
Cependant, malgré les enjeux immenses en la matière, beaucoup d’entreprises délaissent encore les droits de l’homme pour se concentrer uniquement sur leurs résultats et profits, c’est ce qui a amené les organisations supra-étatiques à prendre les choses en main. D’ailleurs, les Nations Unies travaillent depuis 2014 sur un projet de traité juridiquement contraignant pour les entreprises, avec des obligations en matière de due diligence pour toutes les sociétés ayant des activités commerciales.
De l’autre côté de l’Atlantique, le Parlement Européen travaille aussi sur cette problématique. Le 10 mars 2021 le parlement a adopté une résolution avec des recommandations à la Commission européenne. Ladite résolution contient une proposition de directive européenne, qui s’appliquerait à toutes les grandes entreprises, pas uniquement commerciales, mais aussi pour celles fournissant des produits financiers ou des services. La directive serait applicable à toutes les PME cotées en bourse ou à haut risque.
Le projet de directive contient des exigences en matière de droit de l’homme, de maîtrise de ses impacts environnementaux, de gestion des risques et recommande aux entreprises d’intégrer des perspectives de genre dans leur processus de due diligence.
L'objectif majeur de la directive est de garantir que les entreprises opérant dans le marché intérieur s'acquittent de leur devoir de respect des droits de l'homme, de l'environnement et assurent une bonne gouvernance. Concrètement, elles ne doivent pas causer ou contribuer à des impacts négatifs potentiels ou réels sur les droits de l'homme et l'environnement à travers leurs propres activités ou celles directement liés à leurs opérations, produits ou services, que ce soit via leurs relations d'affaires ou leurs chaînes de valeur. Elles doivent prévenir tout impact négatif et si d’aventure il y en avait, elles sont invitées à les atténuer le plus possible.
Les entreprises sont tenues de consulter les parties prenantes, notamment les syndicats et les représentants de l'établissement, au sujet de leur processus de diligence raisonnable. Leur stratégie de diligence raisonnable doit être rendue publique, ce qui implique la communication aux employés et aux partenaires d'affaires.
C’est également dans ce sens que se tourne le plan national luxembourgeois, qui contraint les entreprises signataires à sensibiliser leur personnel, développer des instruments de gouvernance qui permettraient de définir les risques et éviter toute violation des droits fondamentaux, prévoir des voies de recours et une collaboration avec les instances publiques compétentes.
D’autres pays européens prennent également des mesures depuis quelques années, notamment en Angleterre en 2015, avec une loi sur l'esclavage moderne, ou encore en 2017 en France avec l’adoption d’une loi sur le devoir de vigilance. Les Pays-Bas ont également légiféré sur le travail des enfants en 2019. D’autres projets mûrissent du côté de la Suisse et de l’Allemagne.
Au niveau européen, l’enjeu consiste en l’harmonisation des législations nationales, en donnant les différents points qui doivent absolument être respectés, pour constater un véritable respect, les mêmes règles et sanctions doivent être prévues.
Les entreprises seront donc invitées à se conformer, et a adopté des mesures de diligence raisonnable rapidement. Intégrer dès à présent ces mécanismes dans le fonctionnement de son entreprise permettent un gain de temps dans le futur, et d’éviter de se laisser surprendre par une nouvelle législation contraignante dans un moment où les préoccupations sont ailleurs.
La motivation des entreprises à opter pour la diligence raisonnable immédiatement, consiste en, rappelons-le, la préservation de sa réputation en évitant tout scandale, la réponse aux exigences des investisseurs et la conformité aux attentes des consommateurs. Concrètement, l’apport majeur pour les entreprises est que le respect des droits fondamentaux améliore la gestion des risques. La prévisibilité est absolument essentielle pour des opérations commerciales stables et productives.
Il est évident qu’une réglementation au niveau européen sur la diligence raisonnable apporterait des avantages non-négligeables aux entreprises. En effet, une norme harmonisée et contraignante offrirait plus de sécurité juridique, avec des règles du jeu équitables car identiques pour toutes les entreprises, sans réduire la compétitivité ou l'innovation.
Les droits de l’homme mais aussi le respect de l’environnement est au centre des préoccupation. Le projet de directive vise aussi à contraindre les entreprises à intégrer la notion de durabilité dans la gouvernance des entreprises, car selon la Commission, ces dernières se focalisent trop sur leurs performances financières, souvent à court terme, au détriment de la durabilité.
De surcroit, la prise en compte des dimensions environnementales contribue à des gains économiques pour l'entreprise. Une meilleure utilisation des matières premières réduit les coûts et assure des gains d'efficacité. Une entreprise qui se dit soucieuse de l'environnement peut en plus gagner des parts de marché sur ses concurrents.
Comme les réglementations sur le développement durable sont largement susceptibles d'évoluer et de devenir plus restrictives, les entreprises qui ont intégré le développement durable dans leurs pratiques de gestion aujourd'hui seront épargnées des pertes de bénéfices dues à de nouvelles réglementations dans le futur. Les risques financiers liés à de nouvelles réglementations ou sanctions sont à leur tour réduits. Par ailleurs, s'engager dans une démarche de développement durable améliore l'image de marque d'une entreprise.
La proposition de directive impose aux États membres de mettre en place un régime de responsabilité civile qui permettra de tenir responsables les entreprises pour tous les impacts négatifs qu’elles ont causé ou auxquels elles ont pu contribuer.
Pour conclure, c’est le moment de se préparer aux futures législations qui vont sans nul doute avoir un impact d’une grande importance dans les années à venir. Les entreprises disposent encore un peu de temps car il n’existe pas encore de réelles contraintes. Toutefois, d’ici 2024 la directive européenne devrait être publiée voire transposée et le traité de l’ONU adopté. Il est donc largement temps que les entreprises s’intéressent aux droits de l’homme et à l’environnement, avant qu’une législation contraignante ne les y force. La consultation d’un avocat sans tarder se révèle alors nécessaire afin de bien se préparer.
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